En juillet 2019, après la cérémonie de remise des diplômes de la promotion 2018 du programme Sheisthecode, j’ai décidé de m’en éloigner. Nous venions d’achever cinq promotions avec d’excellents résultats. Notre programme, par sa structure, son contenu, son histoire, sa vision, et son initiateur, incarnait quelque chose d’unique sur le continent, et sans doute dans le monde. Je souhaitais conclure cette étape sur une note positive et reprendre une vie « normale ».
Aucune œuvre n’est exempte d’imperfections. En effet, certaines anciennes participantes n’ont guère d’affection à mon égard ni pour le programme. Cependant, la tendance était à la satisfaction, grâce aux transformations positives que la plupart d’entre elles observaient dans leur vie.
Hé, champion, prends une pause et lis attentivement ce qui va suivre !
TRANSFORMATION POSITIVE DANS LA VIE ! Nous ne parlons pas seulement d’informatique, nous parlons de LA VIE, mon ami !
Les résultats étaient bons, mais mon Dieu, que cela a été éreintant. Lorsque nos locaux étaient situés à Angré, les nuits étaient souvent passées dans mon bureau, y compris les dimanches. Mon modeste appartement était délibérément dépouillé de tout confort superflu. Je ne voulais pas qu’il soit un endroit où je passerais volontiers du temps.
Des nuits entières étaient consacrées, tantôt à l’enseignement et à la correction de travaux, tantôt à une lecture assidue des plus de 3000 dossiers des candidates, cherchant à découvrir ce qui les motivait le plus.
En juillet 2019, entre les soucis financiers, les difficultés à trouver un modèle économique viable, et le poids des années qui passaient, il semblait judicieux de conclure cette aventure sur une note positive. Ma mère, avec sagesse, me conseillait en ces termes : « Si tu estimes que tu ne peux pas continuer, il vaut mieux s’arrêter. Tu as accompli suffisamment depuis l’époque d’Akendewa en 2009. Il est temps de te faire plaisir avec tout ce que tu sais faire et la valeur que tu as acquise grâce à ces expériences. De plus, en France, aux États-Unis, partout, les gens te connaissent et apprécient ce que tu as fait. Il est temps d’en profiter. »
Faire fonctionner un programme social sans être assujetti aux partenaires financiers est un calvaire dans nos pays. Trouver le bon système de collaboration avec eux, en harmonie avec MA vision, n’est pas toujours évident. Cependant, RIEN, je dis bien RIEN, ne peut réellement entraver la marche d’une démarche entrepreneuriale bien structurée. Il ne s’agit pas seulement d’atteindre les résultats recherchés, mais de créer une aventure extraordinaire dont tous les acteurs tirent bien plus que la gloire ou l’argent.
Avec l’équipe, nous commettons constamment des erreurs, et nous en rions. Surtout moi, car je pense que les autres ont souvent peur. Ils ne me le disent pas, mais je le perçois dans leur attitude. Et c’est tout à fait normal. « Sur quoi compte ce gars pour nous payer ce mois-ci ? », « Comment va-t-il faire avec tous ces problèmes financiers ? » sont des préoccupations qui leur traversent l’esprit, et c’est tout à fait légitime.
Le doute et la peur les poussent parfois à s’absenter quelques jours « pour maladie », oubliant comment j’avais réussi à les faire rêver en partageant ma vision avec eux pour la première fois. Mais que veux-tu, c’est ma vision à moi seul. Si elle est bonne, « nous sommes avec toi », si elle ne l’est plus, « il vaut mieux chercher quelqu’un d’autre à suivre ». C’est le jeu, mon ami !
Et bienheureux, j’étais préparé à cela. D’ailleurs, il m’arrive (aujourd’hui encore) de placer certains collaborateurs dans des entreprises qui, à mon avis, offriront de meilleures rémunérations et conditions de travail. Il s’agit pour moi de dire « Merci » et de libérer quelqu’un qui, par reconnaissance, « resterait malgré lui ».
En 2019, j’avais donc décidé de mettre fin à ma folie et de me concentrer sur moi-même pendant 2, 3 ou 5 ans. Je pouvais me mettre au service d’une entreprise internationale et percevoir un chèque confortable chaque mois. En plus, avec mon profil de technologiste capable de comprendre les « enjeux business » d’une entreprise et d’agir en conséquence tout en supervisant une ou deux équipes, j’étais un « très bon parti » pour les multinationales. Une garantie de revenus substantiels chaque fin de mois pour moi.
Neuf mois avant cette cérémonie de juillet 2019 que j’ai mentionnée précédemment, j’avais dû solliciter de l’aide (que Dieu continue de bénir cette personne) pour régler des factures et d’autres charges fixes. Une situation que je n’avais jamais envisagée. Je m’étais dit qu’il ne faudrait pas que cela se reproduise, qu’il fallait que j’arrête « ma folie ».
Après tout, je n’étais pas le seul à vouloir aider les femmes à acquérir des compétences dans les technologies. Si je ne suis pas là, d’autres continueront. Les personnes que nous avons inspirées, les concurrents, les « on va faire comme eux », … Qu’ils viennent goûter à la folie de l’entrepreneuriat social.
D’ailleurs, n’est-ce pas cet entrepreneuriat social qui est à l’origine de tous mes problèmes ? En 2013, lorsqu’on me décerne un prix africain avec un chèque de 20 000 dollars (10 millions de FCFA à l’époque) pour l’entrepreneuriat social des jeunes, et qu’en 2015, je me retrouve sur le même podium que le Président des États-Unis pour parler de ce que j’ai accompli afin d’inspirer les autres jeunes Africains, cela peut donner l’impression que je suis prêt à relever des défis toujours plus grands et que quoi qu’il arrive, je réussirai.
Erreur monumentale de jugement et d’appréciation !
Ne suis-je pas simplement « le champi-champi de Youpougon », l’enfant d’Aboisso, l’araignée du web ivoirien, … ? N’est-ce pas dans ce petit bureau que le vice-Président de la Banque mondiale est venu, suivi de deux de ses collègues administrateurs, pour dire « bravo, ton travail fait partie de ce que nous souhaitons accomplir dans nos grands projets, …, tu arrives à le faire avec 100 fois moins de moyens, … tu es un partenaire de fait … » ? N’est-ce pas moi, le seul homme à qui l’on a décerné « Le Prix de la femme innovante » ? (Là, ils ont vraiment fait fort.)
Hé, réveille-toi, Patcko (c’est ainsi qu’ils m’appellent « au quartier ») ! Mon cher, rien n’est linéaire dans cette vie. N’est-ce pas dans ce même Youpougon qu’on dit « tenter, regretter » ? En tout cas, j’en étais au stade du « regretter ».
Sans doute étais-je allé trop loin avec cette idée de « former les femmes dans les technologies ». Et d’ailleurs, qui suis-je pour décider que cela devrait être un programme social dans lequel on souhaite qu’au-delà des compétences technologiques, elles fassent preuve de « LEADERSHIP » dans leur communauté, leur ville, leur pays ? « Pure prétention de ma part », me disais-je en 2019. J’avais perdu de vue la vision « d’un monde dans lequel les femmes utilisent les technologies pour … ». Une phrase que je prononçais face à chaque candidate, potentiel partenaire, nouveau collaborateur, conférencier international que je voulais impliquer dans le programme.
Pourquoi ne pas simplement leur enseigner l’informatique et les laisser se débrouiller ensuite ? Enfin, j’avais décidé de m’éloigner de ma propre folie. Quelques mois après cette cérémonie, c’était confirmé : je partais pour le Japon. Dans ma tête, « si tout va bien là-bas, si j’aime, si tout se passe bien, cela pourrait devenir ma nouvelle base ». Au programme de ma première année :
- Pratiquer du sport chaque jour
- Bien manger
- Suivre assidûment mes cours de japonais et surtout être le meilleur élève (après tout, il faut toujours avoir un petit défi, n’est-ce pas ?).
Un mois après mon arrivée au Japon, au cours d’une conversation avec ma mère, elle me dit : « Pitou (mon petit nom), donc SheIsTheCode, tu as arrêté comme ça ? Non, il ne faut pas arrêter, cela aidait beaucoup de jeunes filles. Elles s’épanouissent ainsi. Les Cissé Binnie Bintou, les Dominique Bes, les Diaby Aicha Dionne, il faut en former d’autres… ». N’était-ce pas la même dame qui me disait « si tu ne peux pas, il faut arrêter » ? La connaissant, elle avait maintenant la paix au cœur, sachant qu’au Japon, j’allais utiliser pleinement mes compétences pour une vie professionnelle sans soucis financiers. À partir de là, et en connaissant ce qui est à la base de SheIsTheCode, à savoir le fait que cela AMÉLIORE des VIES, redonne confiance et suscite le désir de rester digne chez des femmes affaiblies, elle souhaitait que je poursuive cette œuvre en quelque sorte. C’est ainsi que le programme a repris le 27 janvier 2021. Aujourd’hui, nous entrons dans la 10e édition.
Je vais m’arrêter là. Ce texte est déjà trop long. Cependant, J’AI BESOIN DE TON AIDE.
J’ai besoin que tu m’aides à faire connaître le programme dans ton réseau. Si tu es d’accord pour m’aider, comme l’ont fait @edith Brou et @Cissé Bintou, mets un commentaire, et je peux t’envoyer une image/visuel pour que tu publies. C’est vraiment une faveur que je te demande.
Entre-temps, si cela t’intéresse de participer, voici le lien direct pour découvrir comment nous procédons : lien vers SheIsTheCode-2022.
LA PHOTO : C’est moi dans mon petit village d’Assouba en 1985 (ou 1986). À cette époque, je ne connaissais pas Abidjan. La plus grande ville que je connaissais était Aboisso, à seulement 10 minutes de mon village. À cette époque, si on avait dit à ma mère ou à ma grand-mère qu’un jour j’irais aux États-Unis, en France, en Irlande, au Sénégal, en Belgique, au Qatar, en Arabie Saoudite, au Kenya, en Afrique du Sud, en Espagne, en Italie, au Niger, au Ghana, au Burkina Faso, au Tchad, …. simplement pour travailler ou juste parce que j’en ai envie, elles auraient probablement pensé que l’on racontait des histoires fantastiques et qu’il valait mieux rester réaliste.
#beastMode À Rose Allouko