Le jour où, après un processus de sélection à trois niveaux (CV vidéo, tests techniques, entretien de groupe), on m’annonça que je venais de décrocher mon premier poste de « Développeur d’applications Wap/mobile », j’étais tellement heureux que je me suis retrouvé involontairement hors-la-loi. En France, comme partout, nul n’est sensé ignorer la loi. Mais que s’est-il passé ?
En 2005, en pleine période de crise de l’emploi en France, la société qui m’avait recruté pour le compte de mon nouvel employeur me proposa un salaire autour de 1 300 € par mois, soit un peu moins de 865 000 FCFA, ce qui ne représentait pas grand-chose en Europe. À l’époque, les fils d’immigrés noirs et arabes étaient particulièrement touchés par la crise de l’emploi, contrairement aux Asiatiques et Européens de l’Est, considérés comme « gros bosseurs ».
Vivant avec très peu de moyens, en tant que boursier dont la bourse n’était versée que pendant l’année scolaire, et en étant à la fin de l’année scolaire, il était difficile d’obtenir un emploi d’été dans le sud de la France. Malgré cela, je sentais que les choses allaient devenir difficiles. Même si 1300 € n’étaient pas considérables compte tenu de ma qualification, j’étais l’un des hommes les plus heureux le jour où l’on m’a fait cette proposition. Mon salaire passerait d’environ 300 € par mois (pendant 9 mois de l’année) à 1300 € par mois. Je pourrais conserver ma chambre universitaire, que je ne payais que 75 € par mois, pour encore une année. De plus, je pourrais continuer à me former pour acquérir le savoir-faire nécessaire pour prétendre à un poste d’Architecte Logiciel, grâce à un ordinateur portable flambant neuf et à une inscription à une formation professionnelle à distance, avec la mention « cadre » sur ma fiche de paie.
Avant cela, les seules fiches de paie que j’avais eues dans ma vie portaient la mention « ouvrier – Travailleur saisonnier », en raison de mes jobs d’été dans les champs de melon, notamment à Poitiers (centre-Ouest). Cependant, dans le sud, même ces opportunités pour les « travailleurs saisonniers dans les champs » étaient rares. Bien que ces fiches de paie aient été pour moi une grande fierté, car c’était déjà une victoire d’avoir une fiche de paie en tant qu’étudiant, quelle qu’en soit la mention.
Revenons au moment où j’ai découvert que j’étais hors-la-loi. Au cours d’une démarche administrative, un fonctionnaire de l’agence d’État en charge de l’emploi m’interpella en m’informant que mon salaire était inférieur au SMIC (salaire minimum). Selon la loi, pour un développeur d’applications spécialisé dans une technologie précise (ce qui correspondait alors à la mention « Analyste-Programmeur Expert »), mon salaire minimum aurait dû tourner autour de 2100 €, vu mon jeune âge et la taille de l’entreprise.
Malheureusement, il ne s’agissait pas seulement d’une simple interpellation. À cette époque, l’administration française combattait le travail dissimulé dans le domaine de l’informatique, pratiqué par des personnes venant d’Europe de l’Est acceptant des salaires très bas pour des postes hautement qualifiés, créant ainsi du chômage pour les Français qualifiés. Je me retrouvai complice (de mon employeur) de délits liés au travail dissimulé. De plus, au niveau des Ressources Humaines, certains documents n’avaient pas été transmis à temps à l’administration. Heureusement, l’affaire se termina bien pour l’employeur et moi, car après vérification, la faute revenait à la société parisienne qui avait procédé au recrutement, profitant d’une faille du système.
Cette histoire me revient souvent à l’esprit. Ainsi, lorsque je me suis lancé en tant qu’entrepreneur, je me suis promis de toujours m’assurer que même les stagiaires travaillant avec nous (y compris dans le cadre de l’ONG Akendewa) puissent bénéficier d’une indemnité minimale pour leur restauration et leurs déplacements. Même si j’ai parfois omis de respecter scrupuleusement cette promesse, elle reste un principe de fonctionnement essentiel.
C’est la même règle que nous appliquons aujourd’hui à Sheisthecode, où nous ne travaillons qu’avec des entreprises acceptant de verser au moins 60 000 FCFA par mois d’indemnité pour les trois mois de stage effectués par les codeuses chez elles. Certaines entreprises nous informent parfois qu’elles n’allouent pas d’argent pour les stages, considérant cela comme une opportunité offerte aux codeuses. Dans ces cas, nous restons fidèles à nos principes et passons notre chemin.
La photo date de 2006, lorsque, après toutes ces péripéties à Toulouse, j’avais été recruté par une entreprise basée à La Défense (Paris) en tant qu’ingénieur d’études et développement pour des systèmes informatiques. Dans cette photo, il est évident que le salaire dépassait largement les exigences de la loi. Cette opportunité que j’avais obtenue était le résultat de ma bonne prestation (selon mon employeur) même dans des circonstances hors-la-loi.
Bon courage à tous ceux qui recherchent du travail ! Gardez à l’esprit que vous devez savoir ce que vous voulez en termes de contribution à l’entreprise, plutôt qu’en termes de poids du diplôme.